Journée d’étude

Le fait photographique

Conférences en ligne

Co-organisée par l’atelier de Didactique visuelle de la HEAR et La Chambre, à Strasbourg, cette journée d’étude développe une réflexion autour de la nature spécifique du fait photographique, au sein d’une réflexion plus large sur le langage des images et de leurs enjeux sémiotiques.

Le fait photographique

L’expression fait penser à une autre, plus populaire celle-ci, qui désigne l’intervention d’une autorité extérieure et s’appelle « le fait du prince ». Une autorité, une sorte de lock-out : une fermeture, un enfermement.

Également à proximité, ou dans sa périphérie, l’expression « de facto » signifie « le fait accompli », par opposition à « de jure » qui signifie « reconnu de droit ». En cela, cette dernière ressert plus encore notre intitulé dans ce qu’elle désigne d’abrupt, d’inattendu, d’implacable, d’immédiat. « Dont acte », pourrait-on dire, pourrait-on encore ajouter. « Dont acte » étant l’ellipse de l’expression « ce dont il est donné acte » ou « ce dont il est pris acte ». C’est cet « état de fait » qui opère et contribue à ce saisissement qui fait « l’effet photographique ».

Fermeture ou clôture d’un côté, immédiateté d’un acte, de l’autre. Deux composantes intrinsèques de l’image photographique qui font son autorité spontanée et contribuent à cette charge singulière qui la caractérise quand il s’agit de comprendre son « évidence ». Autrement dit son énergie*, cette manière d’être qui la caractérise intrinsèquement, si singulièrement.

Chef d’œuvre d’enargeia, l’image photographique, à l’instar de l’image-bouclier qu’Héphaïstos fabriqua pour Achille, dans le poème d’Homère, contient, enferme dans sa surface le monde, ses océans, ses passions humaines, ses limites aussi. Image-écran au creux de laquelle circule une sorte de combat entre ce qui est (rendu) visible, et ce qui est (potentiellement) lisible. Factuel et fictionnel, donc.

Elle est une image qui impose la question de notre rapport au monde tel qu’il est, quand elle le réfléchit, et qu’il devient un espace mental. Le monde tel qu’il est d’ordinaire se confond dans le monde « comme » il est en photographie. Ainsi peut commencer l’idée du « fait photographique ». Celle d’un monde miniature mis à plat, tandis qu’un effet mimétique (parce que synthétique) le dirige, et nous avec.

Jamais, en regard des tentatives de représentation qui l’ont précédée, une image n’a présenté, au croisement de l’actualité (l’histoire) et des sciences de l’image (sémiotique), une efficience aussi saisissante et paradoxale que celle qui « fend » (3) l’image photographique. Union et séparation, donc.

Le fait photographique est « ce qui œuvre », ce qui agit spécifiquement quand, devant l’image photographique, l’interaction entre identification et interprétation se nourrit de leurs complémentarités et construit cette explosion de sensations qui projette le spectateur dans l’espace mouvant des évocations : un espace lui-même structuré et orienté par mille tensions, croyances, ou certitudes mêlées. Ce, du document initial jusqu’à l’œuvre.

Le fait photographique est ce qui, en conscience de ce qui distingue l’image photographique de ce qui l’a produite, œuvre : un emboitement. En ce sens, le fait photographique oblige à déchiffrer ce dont nous sommes aveugles, de ce qui nous aveugle.

C’est là l’objet des échanges de cette journée d’étude.

GuyMarieMeyer. 10/02/2021.

Image photographie et enquête sémiotique sur le fait photographique

Cette présentation de sémiotique appliquée à l’étude d’images photographiques est destinée à explorer expérimentalement des processus interprétatifs et à confronter les récits interprétatifs qui émergent en parallèle.
À partir de quelques éléments de sémiotique pragmatiste, cette expérimentation et son exploitation permettent d’approcher les techniques d’enquête de la sémiotique pragmatiste. Elle permet aussi d’étudier la façon dont la signification se fixe et se déstabilise à partir du fait photographique, ici autour du portrait. L’étude interroge aussi les processus de nomination lors de l’archivage et de l’inventaire ou de détermination de la légende lors de la diffusion.

Bernard Darras
Professeur de sémiotique

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Corps sensibles
Une nouvelle écriture documentaire, entre réalité et fiction

Mon intervention vis-à-vis de la question du « fait photographique » parlera des invisibles, du hors-champ, de l’infime, des failles, des apories, et d’une intimité enfouie. De territoires sensibles. Elle parlera d’œuvre ouverte, d’appropriation. D’expériences à la fois sensibles et réflexives.
Il sera question du récit objectif, informatif pour proposer l’histoire d’un vécu, plus intime, voire incertain. Il sera question du médium comme support du récit et de la multiplicité des écritures comme moyen de s’affranchir de la forme. Il s’agira de comprendre comment équilibrer l’ambition d’un propos sensible (souvent les réalités narrées sont complexes) tout en proposant une forme accessible ?

Grégoire Korganow
Photographe, plasticien

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Sonder les filtres interprétatifs face à une image de presse : une démarche de sémiotique sociale

La sémiotique sociale place au centre l’hypothèse que les productions culturelles sont certes structurées de l’intérieur par des stratégies énonciatives, mais que la perception et l’interprétation de ces structures sont toujours médiées par le prisme de « filtres interprétatifs ». Ces filtres s’appuient sur expériences socialisatrices, savoirs culturels conscientisés et habitudes de pensée intériorisées qu’il s’agit d’étudier. Les habitudes de pensée notamment, agissent pourtant comme des automatismes qu’il est difficile de mettre à distance. Nous essayons de rendre percevable leur caractère socialement construit dans le cadre d’une démarche d’introspection idéologique. J’expliquerai notre méthodologie à partir d’une expérimentation de terrain récente.

Alexandra Saemmer
Professeur en sciences de l’information et de la communication

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Qu’est-ce que voir ? Qu’est-ce que voir ensemble ?

Depuis une vingtaine d’années, ma démarche consiste à mener des projets photographiques auprès d’êtres humains, des femmes essentiellement, dans leur environnement social, professionnel ou éducatif (lycées professionnels). Que ce soit à l’usine, au supermarché, dans l’atelier de dentelle, au lycée, au monastère, en prison ou encore à l’intérieur de foyers d’hébergement sociaux, chaque production est précédée d’un temps de rencontre et d’échange. Ces premiers échanges participent de la construction du désir de chacun.e. d’être vu.e : « L’art, comme la parole, résulte à la fois d’un échange symbolique et d’une pratique concrète ».
Ces différentes expériences menées dans la durée et la proximité des personnes, relèvent d’un questionnement à la fois esthétique et théorique sur la place du regard dans notre société : qu’est-ce que voir ? Et qu’est-ce que voir ensemble ?

Allan Sekula, Ecrits sur la photographie, Paris, Beaux-Arts 2013

Olivia Gay
Photographe

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Enquêtes sans cible

À l’heure ou de nombreux photo-reporters se tournent vers les galeries d’art, Guillaume Chauvin produit des « enquêtes sensibles » à destination de grands médias, convoquant photographie et écriture.
Tchad, Ukraine ou France, il se tourne vers des thématiques « nécessaires », mais que les médias traitent peu, ou caricaturalement.
Dès lors, comment documenter des faits et œuvrer avec une approche plastique assumée, quand on sert les besoins d’une info spécifique, de ses diffuseurs, et d’un public toujours plus désensibilisé ?
Comment adapter son langage visuel aux réalités du terrain, et pourquoi en définitive vouloir encore photographier, quand la saturation des images mène à leur « invisibilisation » ?
Sur base de son vécu et de ses productions « news » et plastiques, Guillaume Chauvin évoquera ce que peut être un engagement, voire l’éthique d’un métier enfin contraint d’assumer les multiples responsabilités qui s’imposent aujourd’hui à l’auteur.

Guillaume Chauvin
Photographe

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Le portfolio photographique,
l’allié du photographe

Dans les festivals de photographie mais aussi dans les institutions, les lectures de portfolios se multiplient et sont devenues un rendez-vous incontournable pour montrer son travail.
En quoi consiste ce portfolio ?
Quelle forme lui donner en tant qu’objet de médiation tout à fait unique parce que devant révéler un type d’image tout à fait singulier ? Une photographie y est-elle une image ou un objet ? Un portfolio relève-t-il du catalogue, du livre d’images, du livre d’auteur ou d’autres supports ? Comment sélectionner et organiser ses images dans la visée d’un tel système de consultation, à l’heure où, images argentiques et numériques se publient indistinctement ? Que signifie mettre toutes les chances de son côté et qu’attendre de ces lectures ?
Enfin, de manière générale, comment se présenter en tant qu’artiste (auteur(e)) auprès de professionnels reconnus quand les pratiques plasticiennes croisent celles du reportage, voire du documentaire et usent de plus en plus d’outils et de codes communs ?
Voici quelques-unes des questions auxquelles je tenterai de répondre.

Sylvie Hugues
Consultante en photographie, D. A.

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